Le très grand vœu de Vadivel

Traduit de l'anglais par Divyesh Nagarajan, Victoria, Canada
avec l'assistance des moines du monastère hindou de Kauaï, Hawaii
Vadivel n'avait que douze ans lorsqu'il fit son voeu de brahmacharya (chasteté) au temple à l’ashram de son gourou. Il avait appris les termes du voeu et étudié tous les mots recherchés: la volonté, qui est le libre arbitre, la chasteté, qui est l’abstention de la sexualité; et les mots « sublimer » et « transmuer » qui indiquent la transformation d’une énergie en une forme supérieure. Il prononça son voeu lors de la cérémonie du feu hebdomadaire à l’ashram. Sous le regard de son gourou, de ses parents, de sa famille et de ses amis, il récita :
« Je m’appelle Vadivel, et je recherche la bénédiction de Dieu, des dieux et du gourou en déclarant de ma propre volonté ma ferme intention de vivre une vie pure et vertueuse, et à présent, je fais ce voeu de chasteté. Je m'engage à toujours penser, parler, et agir avec pureté, et à demeurer chaste afin de sublimer et transmuer les énergies sexuelles et les impulsions instinctives de colère, jalousie, avidité, haine et égoïsme. Je serai chaste et pur jusqu’au mariage et porterai ce saint cordon de brahmacharya autour de ma taille, qu’il représente ce serment solennel. Le moment venu où je me marierai, je promets d’épouser une vierge hindoue sivaïte avec l’accord des deux familles et la bénédiction de mon guru. »
À la fin de cette cérémonie, son guru attacha la corde blanche autour de sa taille qui lui rappellera toujours son vœu et ne retirera qu’au jour de ses noces. Ce n’était pas difficile pour Vadivel de faire ce vœu. Ses parents y avait insisté et d’ailleurs, il ne s'intéressait guère aux filles à l'époque! Sa sœur Anbu qui avant un an de moins que lui, fit le même vœu au cours de la même cérémonie.
A ton âge, c’est le moment d’étudier, expliqua son père, plutôt que de chercher une petite amie. Tout cela était bien logique pour Vadivel et tout s'est bien passé jusqu'à ce qu’il ait 16 ans. Il était l'un des meilleurs élèves de sa classe à l'une des meilleures écoles de Houston, au Texas, et sa soeur aussi était au haut de sa classe.
Mais alors les choses ont changé. Il n’oubliera jamais sa première rencontre avec Amelia. Beaucoup d’Indiens vivaient à Houston, et par conséquent, presque tous ses amis étaient Indiens. Amelia n’était pas comme les filles indiennes. Elle était extrêmement cool, pensait-t-il, surtout quand elle parlait du baseball avec lui, son sport préféré. En fait elle en savait plus sur le baseball que la plupart des garçons de son âge.
Ils avaient l'habitude, après les classes, de discuter des derniers matchs et de leurs joueurs préférés. Il lui téléphonait ou envoyait un texto régulièrement à propos d’un match en cours, choses qui se produisaient de plus en plus fréquemment et Vadivel vint à passer beaucoup de temps avec elle, qu’il considérait comme une bonne camarade, peut-être son meilleur ami.
Puis un jour, sa petite soeur Anbu, maintenant âgée de 15 ans, lui dit : « Hé, Vadivel, n'oublie pas que tu as fait un vœu ! »
Rougissant, il répliqua : « Pourquoi me parles-tu de cela maintenant ? » « Tu le sais bien ! » Répondit-elle en quittant la pièce.
Tout embrouillé, il fit une longue promenade, et se rendit enfin compte qu'Amelia était bien devenue pour lui vient plus qu'un simple camarade. Il savait qu’Amelia, elle, n'avait pas fait vœu de chasteté. C'était évident qu’elle voulait un rapport plus proche. Elle lui tenait la main et, la semaine dernière, la serra très fort. Mais qu'en est-il de lui? Il avait fait un vœu au temple en présence de Dieu, de son gourou et de ses parents. Il savait que le vœu était pour son bien et qu'il serait indécent de sa part de le rompre.
Cette semaine-là, son bulletin de notes arriva et son père remarqua que ses notes avaient bien tombé. Vadivel, qui avait jusqu'ici obtenu des mentions excellent, avait aujourd’hui un médiocre en français, sujet où il brillait normalement ! Il haussa les épaules en accusant plutôt son amour des sports et autres activité. Mais son père pensait autrement.
« Vadivel, tu as oublié ton serment de brahmacharya. Tu passe trop de temps en compagnie d’Amelia et en voilà le résultat. »
« Non, Appa. C’est pas la faute d’Amelia. Ça n'a rien à voir avec elle » rétorqua-t-il.
Appa fut silencieux un instant, puis dit : « D’accord. Je pourrais me tromper à son propos. Mais je veux te donner quelques conseils. C’est le moment de ta vie où tu dois étudier. Un jour viendra où tu rencontreras la jeune fille qui sera ton épouse, mais ce n’est pas le moment d’y penser. À ton âge, tu dois consacrer toute ton énergie spirituelle à tes études, et non pas à un rapport intime avec une jeune fille. Chaque fois que tu lui parle au téléphone, tu perds un temps précieux vis à vis de tes études, et c’est pourquoi tes notes en souffrent. »
« Elle n’est qu'une amie, Appa. » Vadivel dit doucement.
« Alors, tu n’as pas à arrêter de la rencontrer. Mais fait-le avec un groupe d’amis, plutôt que tout seuls. Évites un rapport exclusif, sinon c’est ton vrata que tu risques. »

Le lendemain et pour deux semaines, l'école offrait une série annuelle de classes d’éducation sexuelle pour adolescents dans le cadre d’un cours d’études de santé. Vadivel savait que c’était une classe controversée. Certains parents pensaient même qu’elle ne devrait pas être au programme. Et en fait, les enfants ne pouvaient y assister qu’après avoir obtenu la permission des parents.
Vadivel en avait parlé avec Appa, et les deux avaient décidé que ce serait une bonne chose pour lui. Il s’est avéré qu’Amelia était dans la même classe, qui comprenait garçons et filles.
L’instituteur commença en demandant : « Combien d’entre vous ont fait vœu de chasteté ? » Huit mains se le levèrent parmi les 22 étudiants, et celle de Vadivel, en faisant neuf. Il était surpris de voir qu’il n’était pas seul à faire vœu de ne pas avoir de relations sexuelles avant le mariage. Il fut apparent qu’Amelia était surprise qu’il était l’un des neuf.
Les huit autres étudiants ainsi engagés étaient tous chrétiens. Trois étaient catholiques, quatre étaient baptistes-du-sud et portaient des « bagues de chasteté », et l’un était adventiste du septième jour. C’était Scott, que Vadivel connaissait parce qu’il était aussi végétarien. L’instituteur demnada à chaque élève d’expliquer pourquoi il avait fait ce vœu et que signifiait-il. Vadivel expliqua avec éloquence la chasteté et le mariage du point de vue hindou, et se rappela des raisons qu’il appréciait tellement le vœu. Et entendant les autres étudiants parler de la même façon, il a compris qu'il n’y avait pas sa famille qui trouvait la chose importante.
À l’heure du déjeuner ce jour-là, il se marchait vers la cafétéria, où il rencontrait souvent Amelia. Atteignant sa table, il a levé une chaise et l’a regardée un instant. Il a ensuite dit : « Amelia, j’espère que ce que je suis sur le point de dire ne vous bouleverse pas trop, mais je pense que c’est important pour nous deux. Je sais que tu n’avais pas réalisé que j’avais fait un vœu de chasteté. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas continuer à être amis, juste la façon dont nous sommes. C’est vraiment mieux pour nous deux, car nous devons nous concentrer sur notre travail scolaire dès maintenant. »
Amelia le regarda pendant quelques secondes puis elle dit : « Je pensais que nous nous rapprochions. Qu'est ce qui t'es arrivé ? Et qu’est-ce que c’est cette chasteté ? Je ne suis pas une de ces filles, mais qui attend pour le mariage ces jours-ci en tout cas ? »
Vadivel baissa les yeux sur la table puis la regarda encore. Cette fois, il l'a regardée directement et a dit : « Il ne fait aucun doute que nous nous rapprochons et que vous devenez plus important pour moi. C'est exactement pourquoi nous devons garder nos distances. Ce n'est pas le moment d'une relation sérieuse. J'espère que vous comprenez cela. C'est le moment d'étudier dur et de construire une base solide pour le reste de notre vie. Je dois aller en classe maintenant. Je te retrouve chez Joe pendant le week-end. » Il s'éloigna rapidement.
Vadivel alla en classe et, pour la première fois depuis des mois, s'est concentré sur ce que disait l'enseignant.
La fête du week-end était amusante, avec tous ses amis réunis autour, discutant de la performance de l'équipe de baseball. Puis Amelia entra, main dans la main avec Dennis, l'arrêt-court vedette de l'équipe de baseball. Ils passèrent nonchalamment devant Vadivel, Amelia le remarquant à peine. Elle ne lui a rien dit le reste de la soirée.
Vadivel quitta la fête de bonne heure, le cœur lourd. Il savait qu'il avait pris la bonne décision - il faisait déjà mieux aux épreuves, mais cela ne pouvait pas enlever la douleur qu'il ressentait en lui.
À son retour chez lui, son père demanda : « Qu'est-ce qu’il y a, mon fils ? »
« Oh, rien. Amelia semble m'avoir oublié. Elle m'a ignoré à la fête et a passé tout son temps avec Dennis. »
Puis Anbu entra et déclara à haute voix : « Elle vous a laissé tomber ! »
« Anbu, sois gentil » , gronda doucement Appa.
Vadivel se tourna vers Anbu les larmes aux yeux et répondit doucement : « Pas vraiment. C'est moi qui ai mis fin aux choses. Mais ça fait mal. »
« Je suis désolé, Vadivel, » offrit doucement Anbu, « Je devrais prendre cela comme un avertissement pour moi-même. »
Le père de Vadivel mis son bras autour de l'épaule de son fils et dit : « Mon fils, Amelia est honorable, mais ses priorités dans la vie sont différentes des tiennes. Pour l’instant, elle veut s'amuser. Quand tu as dit non, elle a trouvé quelqu'un mieux disposé. Lorsque le moment sera venu, tu trouveras ta compagne pour la vie, quelqu'un qui sera ta femme et ta meilleure amie. En attendant, prends plaisir à la vie - mais un bon plaisir, qui pour toi sera d'étudier et de d'être joyeux. »