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La Fabuleuse histoire du Kathakali à travers ses techniques : Milena Salvini et l’esprit du guru-shi


Après leurs remarquables ouvrages sur le mime (l’un consacré à Maximilien Decroux, l’autre signé Pinok et Matho), Riveneuve et Archimbaud ont co-édité La Fabuleuse histoire du Kathakali, la somme philosophique, didactique et esthétique de Milena Salvini, richement illustrée par les photos de Mireille-Joséphine Guézennec et Jean Gros-Abadie, traitant de la danse indienne, et plus précisément du Kathakali.

L’esprit de transmission

Hubert Laot, le directeur de l’Auditorium du Musée Guimet, rappelle le rôle pionnier de l’auteure, qui, dès 1965, intégra le Kalamandalam, la plus grande école enseignant l’art du Kathakali, qui la marquera à jamais et dont elle conservera l’esprit du guru-shishya parampara, qui est celui de la transmission et de la divulgation, pour ne pas dire de la vulgarisation de techniques ancestrales. Milena Salvini créa à cet effet le Centre Mandapa en 1975, où elle n’a cessé de partager sa passion pour la danse en général, pour ses différentes expressions issues de l’Inde et, également, pour celles occidentales et contemporaines. Toujours, les traditions théâtrales et guerrières du Kathakali, originaires du Kerala, du sud de la Péninsule, ont gardé ses faveurs. Milena Salvini, avec sa fille danseuse, Isabelle Anna, collabore régulièrement aux fastueux spectacles que nous offre l’Auditorium Guimet.

Les grandes épopées indiennes

Le Kathakaḷi, forme d’art associant de manière consubstantielle danse, musique et poésie, s’est en effet inspiré des grandes épopées indiennes que sont le Mahabharata et le Ramayana qu’il restitue d’après les spécialistes en deux langues, en sanskrit, la langue du narrateur et en malayalam, l’idiome du Kerala dans lequel s’expriment les personnages. Pour éclairer la lanterne du lecteur, Salvini propose un tableau historique allant de l’émergence du Kathakali au XVIIe siècle à sa renaissance dans les années 1930, en passant par son âge d’or au XVIIIe et son déclin au XIXe. L’institution du centre d’apprentissage des arts du spectacle qu’est le Kalamandalam, créé en 1930, permet une ouverture à de nouveaux textes ainsi que l’adaptation de thèmes contemporains, voire de pièces venues de l’Occident, comme le Faust de Goethe (1976) et le King Lear (1989).

Une exploration intérieure sans fin

Deux parties distinctes composent l’étude. Dans un premier temps, Salvini rappelle que sa rencontre avec la discipline n’a pas simplement consisté à mémoriser des codes. Elle a nécessité de sa part « une exploration intérieure sans fin ». Elle ne s’appesantit pas sur son expérience personnelle de jeune femme, étrangère, issue d’une culture radicalement différente et sur le choc qu’elle put ressentir mais s’efforce de retracer l’ascèse au terme de laquelle chaque élève découvre peu à peu l’univers de cette danse. La démarche n’a rien d’intellectuel (on ne s’étonnera d’ailleurs pas que son analyse du Kathakali ne soit pas un travail d’universitaire) ; elle se fonde essentiellement sur les émotions individuelles issues du contact avec la nature et le cosmos. C’est de là que le danseur-comédien tire sa force, ayant été auparavant guidé par un maître.

Le vocabulaire du visage

Après avoir traité philosophiquement et historiquement de la spécificité du Kathakali, Salvini passe à une deuxième partie, technique, pratique et pédagogique. Les sentiments que le visage de l’interprète doit laisser affleurer (présenter en même temps que représenter) sont au nombre de neuf : l’amour, la dérision, la compassion, la colère, la fierté, la peur, le dégoût, l’émerveillement et, last but not least, la sérénité. Il s’agit là d’un vocabulaire de base qui sera souligné, amplifié, magnifié par le maquillage, la coiffure, le costume. A l’aide d’une série de planches photographiques, elle enseigne à distance (à qui ne pourrait suivre les cours dispensés par Mandapa !) la position des pieds, les saluts, les sauts, la « ponctuation dansée » ou kalashâm, et retrace les étapes de la formation du danseur, un apprentissage qui fut longtemps réservé aux hommes – lesquels devaient jouer les rôles féminins.

Pratiques guerrières

L’entraînement, qu’elle qualifie de « sportif » et même d’« acrobatique », a été élaboré à partir de pratiques guerrières destinées à rendre le corps à la fois malléable, puissant et réceptif. Ce qui, soit dit en passant, était aussi le rôle de la danse en France, au temps de Thoinot Arbeau. « La rigueur de ces disciplines implique toutes les parties du corps » écrit-elle. Les mudras, ou mouvement des doigts de la main, sont au nombre de 24. S’ajoute une véritable gymnastique oculaire avec des exercices rythmés et répétés suivant un tempo de quatre, huit, seize et trente-deux battements, allant d’une extrême lenteur au clignement épileptique. La formation de l’acteur-danseur repose sur l’étude du vocabulaire gestuel ainsi que sur une gymnastique faciale et oculaire précisant à l’extrême les sentiments à transmettre par l’expression dramatique – les exercices d’yeux aidant, c’est probable, à soigner la myopie, puisqu’on n’a jamais vu de danseur indien portant lunettes.

L’ouvrage contient un indispensable lexique des termes sanskrits utilisés, expliqués simplement, une « bibliographie subjective » de textes en anglais et en français et la filmographie de Milena et de son regretté époux, Roger Filipuzzi, à qui le livre est dédié.

Co-rédaction : Nicole Gabriel et Nicolas Villodre

Et plus si affinités

http://www.riveneuve-editions.com/catalogue-2/arts/la-fabuleuse-histoire-du-kathakali/

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